Pharmacie au naturel, comment bien choisir son assortiment ?
mis en ligne le Mercredi 24 avril 2024
Si elle tire la croissance de l’officine, la santé au naturel ne s’improvise pas. Entre flot continu de nouvelles gammes et besoin crucial de former son équipe, comment se lancer ?
La progression de la santé au naturel en pharmacie
Alors qu’elle a brassé pas moins d’1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires sur le secteur en 2022, l’officine reste la porte d’entrée favorite vers les compléments alimentaires. Et la santé au naturel continue à gagner du terrain avec une croissance de 9 % en 2022, au détriment des magasins bio qui, eux, dégringolent de 13 %. Malgré l’inflation – qui a poussé certains clients à bouder le bio – et la fin de la pandémie, « la naturalité reste une vraie tendance de fond », souligne Shérazade Martin, consultante merchandising et gérante de Gamma’s Conseil, qui précise que « cet univers a encore beaucoup de potentiel, du fait d’une réelle volonté de prévention chez les patients ». Plus de la moitié des compléments alimentaires – l’un des segments phares de la naturalité – est vendue en pharmacie, « il y a donc en théorie encore le double du marché à aller chercher », sourit l’experte.
Immunité, vitalité, digestion et sommeil sont les segments plébiscités par le consommateur, « mais encore faut-il investir du temps et de l’énergie sur les conseils pour les développer », met en garde Shérazade Martin.
Attention à la cannibalisation
Herboristerie, gummies, compléments alimentaires, huiles essentielles : sans surprise, les labos ont flairé la tendance et s’engouffrent dans la brèche de la naturalité, en développant des gammes bio ou made in France. De quoi se laisser vite happer, mais attention « à la cannibalisation, alerte Shérazade Martin. Un travail de rationalisation et d’esprit critique sont à mettre en place par le pharmacien.
Lorsque vous avez 7 références d’acérola en gummies sur le marché, cela n’a que peu d’intérêt, car une seule dégagerait le même chiffre d’affaires. »
À l’exception des leaders du secteur ou des produits qui bénéficient de publicités télé ou radio nationales – les gammes naturelles se vendent rarement toutes seules. « Soit la gamme est différenciante par rapport à ses concurrents, soit elle est soutenue par un plan de communication ; sinon, on ne la fait pas rentrer ! », conseille Shérazade Martin. Au risque d’avoir des linéaires fouillis, sans plus-value.
Premier conseil donc : réfléchir à une réelle stratégie de conseil des gammes naturelles. « La base, c’est la qualité du conseil. Pour cela, il faut d’abord bien identifier les besoins de vos patients, et valoriser les produits qui correspondent à un réel besoin », insiste encore l’experte en merch. Le tout en évitant le piège – dangereux et contreproductif pour l’image de la pharmacie – de substituer la médication familiale par des gammes naturelles.
Dans la santé au naturel, les places sont chères
Importante de la formation des pharmaciens
Lors des achats, soyez donc rationnel et objectif, « car la place est chère, toutes les marques veulent se développer sur la naturalité en officine», résume ainsi Shérazade Martin. Si le naturel booste la marge, il nécessite du temps et de la formation d’équipe. À défaut d’un conseil de qualité et d’une formation en aromathérapie ou phytothérapie par exemple « il existe un gros risque pour l’image globale de la pharmacie », anticipe-t-elle. Pour David Desmaretz, directeur des opérations Anton & Willem – enseigne de pharmacies naturelles –, « la formation des équipes est primordiale pour monter en compétences. Si vous mettez simplement un sticker “médecine naturelle” sur votre vitrine, mais qu’à l’intérieur personne n’a la capacité de conseiller, le soufflé se dégonfle », illustre-t-il encore.
Chez Anton & Willem, la formation est donc obligatoire, et les gammes sont étudiées à la lettre par un responsable scientifique avant tout référencement, avec pour objectif des produits sains et le plus écoresponsables possibles. Une démarche similaire pour le réseau Pharm O’naturel : « nous choisissons des laboratoires qui intègrent le plus d’ingrédients naturels, des marques en circuit court, mais aussi celles qui font des efforts pour éviter les packagings inutiles », souligne Denis Fragne, directeur général délégué en charge du développement réseau Pharm O’naturel. Inévitablement, « nous ne référençons pas certains laboratoires à cause de leurs formules, par exemple », indique- t-il encore.
En pharmacie, Scénariser… mais avec cohérence !
Aussi, qui dit naturel dit théâtralisation de l’officine. Mobiliser en bois, liège, plantes vertes : « pourquoi pas, si cela peut renforcer le discours de l’équipe », analyse Shérazade Martin, qui met toutefois en garde : « attention à ne pas sur-théâtraliser, avec 50 tables de démonstrations qui prendraient la place des linéaires ». Là encore, « il faut bien réfléchir à l’univers, ce qu’on veut apporter pour son patient. Si on le fait, on le fait bien ». Chez Pharm’O Naturel – qui regroupe 70 officines sur le territoire – le concept store complet intègre des meubles en bois massif durable, conçu par Mobil Wood « le fabricant du mobilier de tous les magasins Biocoop », souligne Denis Fragne, qui précise que le réseau n’entend « pas être un magasin bio de la santé, mais bien une officine. On ne change pas les habitudes de consommation des clients, mais on les attire vers la naturalité. Nos gammes sont ainsi composées de 2/3 de produits classiques et 1/3 naturels ».
La naturalité comme Moteur de croissance
Si la naturalité est désormais inévitable en officine, c’est aussi, car « c’est l’une des catégories les plus intéressantes en termes de contribution à la marge », rappelle Shérazade Martin. Selon les calculs de Gamma’s Conseil, et à l’exception du médicament remboursable, la santé au naturel pèserait pour 22 % dans le chiffre d’affaires et 25 % dans la marge, la classant en tête du podium des univers les plus rémunérateurs. À titre de comparaison, c’est 18 % de poids dans la marge brute pour la médication familiale, 17 % pour la dermocosmétique. Pour rentabiliser pleinement ce secteur stratégique, le merch et la segmentation dans les linéaires doivent être clairs « car il n’y a pas encore de maturité à l’usage de ces produits et il est donc nécessaire d’éduquer et guider le patient ». L’experte en merchandising conseille ainsi d’implanter les gammes – « en privilégiant plutôt une présentation par marque, comme un relais du conseil du pharmacien, car souvent les produits ne sont pas bien connus ». Seule exception : les produits « très typés grande consommation » qui passent en publicité nationale et font l’objet d’une demande spontanée du patient, comme Bion 3, Berrocca ou Novanuit. « Dans ce cas, il convient de favoriser l’accès rapide à ces produits, en gondole ou près du comptoir avec une belle visibilité, car ce sont des gammes qui génèrent de beaux chiffres d’affaires ».
Corner nature
Avec un conseil soigné, cohérent et une belle scénarisation de la santé naturelle, « l’officine peut passer d’une pharmacie d’obligation à une pharmacie de destination, où le client vient chercher des produits particuliers », souligne Denis Fragne, qui voit la naturalité comme un gage de fidélisation client. En 2024, Pharm O’naturel, qui s’est rapproché du groupe Univers Pharmacie, va s’adosser au groupe pour développer une MDD bio, en commençant par une gamme enfant. « Nous allons également développer des corners dans les pharmacies Univers, baptisés “O Naturel”, dont les premiers seront lancés cet été dans l’est de la France », précise Denis Fragne.
La MDD naturelle : gain de marge et arme anti-inflation
Pour aller un cran plus loin, tout en soignant le porte-monnaie du patient, Anton & Willem a déjà décidé depuis 2017 de lancer sa marque propre. Partie d’une centaine de produits, « beaucoup de mono-ingrédients, un peu de phytothérapie et quelques complexes », se souvient David Desmaretz, l’enseigne en commercialise désormais 321.
« Des produits naturels, avec un prix cohérent pour le patient et le pharmacien, et gage de qualité, façonnés en France », souligne encore le directeur des opérations d’Anton & Willem.
Désormais, le laboratoire couvre l’ensemble des besoins des patients, des produits les plus grand public – comme le MultiMag leader de la marque – « aux produits de niche, qui attirent également les clients vers nos officines », analyse David Desmaretz.
Une belle réussite pour cette enseigne d’Objectif Pharma, filiale de La Coopérative Welcoop, coopérative de pharmaciens : la marque propre signe en 2023 une progression de 14,5 % en volume et 38 000 euros de ventes moyennes annuelles dans chacune des 64 officines Anton & Willem.
Avantage de la MDD ? « Elle ne phagocyte pas non plus les marques nationales et peut coexister », précise-t-il encore. « Il y a dix ans, on me demandait déjà si les pharmacies herboristes ou naturelles n’étaient pas qu’un simple phénomène de mode, se souvient David Desmaretz. Aujourd’hui, la question ne se pose plus : c’est une tendance inscrite dans la durée ».
Source article : PHARMA N°215 - Avril 2024, écrit par Par Léa Galanopoulo